L’aube n’était pas là, je t’ai pris contre moi et je me suis recouchée, en chuchotant, chut, il ne faut pas réveiller papa, oh, petit bonhomme, chut, viens, viens on se repose un peu. Je t’ai senti t’apaiser, sombrer à nouveau dans le sommeil, comme toujours lorsque je te prends contre moi dans le noir et la chaleur des draps. Mon visage était collé au tien, tellement près, je sentais ton souffle tiède, et je voyais précisément dans la pénombre la rondeur de tes joues, je devinais la longueur de tes cils. Je me demandais comment l’univers pouvait me combler autant qu’à cet instant précis, dans la douceur de cet éveil assoupi. J’aurais pu rester des heures, j’aurais pu rester toute la vie je crois, recroquevillée contre toi endormi. Alors, sans que je ne m’y attende, tes petits doigts sont venus toucher mes joues dans des esquisses de mouvements incontrôlés, petites caresses d’allumettes, et mon coeur a dû manquer un battement, encore.
Tu sais, je ne suis plus jamais seule, et pourtant, je ne me suis jamais sentie autant moi-même. C’est comme si tu avais fait tomber le masque. Depuis que tu es là, je n’ai plus besoin de lunettes pour voir clair, moi qui en porte depuis trente ans.
Plus que jamais, j’ai l’impression que la vie défile, et je sens comme une urgence encore plus grande, plus vraie, plus forte, de profiter de chaque minute. Je cherche, encore plus intensément qu’auparavant, ce que je veux faire de ma vie, je veux dire, profondément, de chaque seconde, et je sens que tout le temps de toi est du vrai temps. Je ne sais pas ce que me réserve la suite du chemin, combien d’heures me sont encore imparties, je ne sais pas ce qu’il y aura dans cette histoire qui s’écrit sans marges. Alors, j’ai envie d’embrasser la vie sur chacune de ses peaux, de la respirer en fermant les yeux pour m’imprégner de chacun de ses parfums. J’ai envie de n’en laisser aucune bouchée.
J’ai l’impression de l’avoir rencontré comme un cadeau, ce bonheur si plein si franc si pur, et même mes nuits d’angoisse ou mes peurs éternelles sont toutes petites à ses pieds, reléguées au rang d’actrices de second rôle. J’ai l’impression de savoir, pour une fois, pour la première fois peut-être, ce que je fais là, ce que chaque aube fait là. De me laisser gagner par l’amour d’un horizon en couleur aquarelle, sous une forme inconnue, impalpable et nouvelle. Une lumière en raz-de-marée.
Merci, mon bébé.