J’attends, je t’attends, j’oscille tendrement entre angoisse et impatience, je souris et je pleure en mettant pour toujours les deux mains sur toi, comme la louve que je deviens. Encore un peu d’automne, vienne tout un hiver, puis toi comme un printemps. Je voudrais que tu sois là, que tu me rassures de ton odeur inconnue, je voudrais voir tes yeux ouverts et découvrir ton profil que j’imagine, la nuit vide de ton souffle encore. J’étouffe déjà de t’aimer ; je ne te connais pas, j’ignore encore tout de la vie avec toi, et pourtant tu me manques si fort oh, j’ai hâte, je t’attends d’aube en aube, je te parle dans ton cocon, je te sens et te chuchote tout bas. J’avais lu-écouté-appris, j’avais espéré, j’avais tant attendu de t’attendre, et maintenant je mesure combien je me trompais, combien nulle ne peut se préparer, combien la grossesse est une révolution-mystère que chacune vit dans l’unicité de sa chair. Alors je te vis à notre manière, libre, dans l’ineffable certitude que te vivre c’est vivre un peu plus fort. Je te parle de ton papa, je te murmure combien nous sommes prêts, combien nous ne sommes qu’un, lui et moi, combien tu arrives dans une bulle de cristal aux racines solides. Je te chante à tue-tête en riant, je t’effleure par le dehors, je te dessine en rêve et t’espère dans le profond de chaque seconde.
Nous irons voir la mer tous les trois, nous irons manger les glaces de l’Italie et voir le sommet de San Giorgio Maggiore depuis la piazzetta dans la brume du matin, nous marcherons sur les pavés brûlants qui montent vers le palais d’Agamemnon à Mycènes là-bas, nous te porterons dans les ruelles du monde et loin vers les îles perdues. Nous ouvrirons tous les volets pour laisser entrer la lumière, nous cueillerons des fleurs en inventant leur nom, nous dessinerons de nouvelles constellations, nous chanterons des mélodies sans paroles qui n’existeront que pour toi.
Et le soir, sous le ciel haut et blanc et chaud de notre maison de bois, nous te lirons Verlaine, Prévert, et l’Odyssée aussi, et nous rirons à ce que je ne sais pas encore écrire, à ce qui nous adviendra pour le reste de la vie. La farceuse, l’imprévisible, la belle vie.