On ne m’avait pas dit – et comment aurait-on pu me le dire-, on ne m’avait pas expliqué ce que c’était vraiment, porter quelqu’un là au creux de sa peau, vivre la vie avant la vie, joue contre coeur. Avoir la primeur des instants de surplus qui précèdent ton grand saut, te connaître un peu toute seule avant de te pousser dans le monde, sentir en moi tes premiers balbutiements de corps, sentir en mes profondeurs tes agitations et tes sommeils. Pendant que ton papa assemble ton lit de bois, moi, je te tricote un berceau de chair, d’azur, de soie et de laine, pour quelques mois, quelques semaines encore. Je voudrais tresser autour de ton petit être nu des draps légers d’amour et de tendresse, je voudrais parer ta maison cachée de diamants rares et de pierres inconnues, je voudrais faire de ton temple éphémère une couche de velours à la chaleur de mon feu. Je te murmure tout bas des mots que je n’aurais pu connaître, je te respire et t’emporte avec moi, je t’appelle ma crevette, mon cachalot, mon petit miracle, je mesure à la fois ta fragilité et ta force, ta dépendance et ta liberté. J’imagine la suite, je rêve ton chemin ; mais de mes idées qui dessinent l’avenir comme de légères touches à l’aquarelle, aucune n’a la saveur de ce qui se joue là dans le concret de notre présent en duo, de ta tête enfouie à intérieur, de ma voix que tu connais par le dedans, de notre danse à l’unisson. Aucune n’a la force de ce privilège, celui de te rencontrer déjà, celui d’avoir tout vécu contre toi depuis le moment précis où tu as existé à partir de rien. Neuf mois de toi, c’est peu, c’est infini, c’est l’or de ton préambule, le rayon vert de ton aurore. Dans mes nuits d’insomnie, je pose les deux mains sur moi, sur toi, sur ton vivant couffin pour encore un temps, je mesure le vertige et l’immensité de la douceur avec laquelle je t’enveloppe de ma chair et de mes pensées, j’ai peur tu sais, mais je profite aussi de n’être plus seule en moi, de n’être plus simplement moi en étant un peu tienne.
N’être qu’amour en toutes lettres, et attente de te faire naître.