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Channel: Oh mes beaux jours – Les mots ailés
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À la fois toi et moi

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Il y a onze ans jour pour jour, j’avais mon pull vert foncé, mon préféré, et mon collier avec les grosses perles de bois, et lui, il avait son pull bleu marine avec un trait blanc au col, et les chaussures à lacets qu’il mettait à la place de ses baskets pour me séduire, parce qu’il avait tout compris de la séduction. J’avais l’esprit un peu flou, comme en léger état constant d’ébriété amoureuse, et je n’osais espérer que lui aussi, je ne savais pas, enfin, je refusais de savoir, parce que c’était évident. C’était un mercredi, comme aujourd’hui. À la sortie du cours sur Le Clézio, on avait cherché des prétextes pour passer du temps ensemble, dans plusieurs endroits, et on avait fini par aller dans ma chambre, ma toute petite chambre d’étudiante qui était au fond d’un jardin, avec la vieille table basse que j’avais récupérée, et la housse de couette bleue unie, assortie à ma petite bouilloire. On avait bu une grenadine, parlé encore, assis par terre, il était tard, comme les autres soirs, et ce soir-là on avait osé un peu plus, et on s’était embrassés, avec toute notre timidité à tous les deux.

En onze ans, on a dessiné un univers de champs de tournesols et de bleuets fous tout autour de nous, on a tissé une couverture de soie et d’opale qui nous protège quand, encore, on s’embrasse.

Tout à l’heure, il m’a dit que le plus beau cadeau que je pouvais lui faire, pour ce jour anniversaire, c’était de lui offrir la perspective, ce soir, sur sa longue route du retour, de me retrouver à l’attendre dans la chaleur de notre chez nous, avec mes petites lunettes, mon sweat à capuche et mon gros ventre de troisième trimestre dedans. Pour moi, son plus beau cadeau, c’est le « mon mari » quand je dis « j’en parlerai à mon mari », c’est tellement joli quand je m’entends, aussi joli que lorsqu’il dit « ma femme arrive », et « sa femme », c’est moi. C’est de savoir que je suis là dans une maison qu’on a vue s’élever ensemble, à serrer contre mon coeur tous les projets qu’on a fait grandir, et aussi tous ceux qu’on a pour après. C’est de rire aux alexandrins qu’il m’écrit avec des blagues dedans et les césures à la bonne place, c’est de lui écrire des lettres que nous sommes seuls à lire, qui sont en prose mais qui nous font pleurer un peu, c’est de lui demander comment on écrit idylle parce que je ne me souviens jamais alors que lui il se souvient de tout. C’est de sentir remuer à grands coups de pieds ce petit mélange de lui et de moi, c’est de savoir que notre vie sera bouleversée et d’avoir peur, et d’avoir hâte. C’est quand il pose l’oreille contre mon ventre et que je caresse ses cheveux, quand il a confiance en moi, en nous, quand j’ai confiance en lui au moins aussi fort, au point que ça me bouleverse un peu mais ça c’est parce que je suis sensible. C’est le passé, le présent, le futur jusqu’au bout, avec nos couleurs à nous, pull vert et pull bleu, et nos yeux noirs à jamais incrédules de tout cet or, tout ce beau dedans-dehors.


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